Chaque semaine, vivez au rythme de la série exclusive WANKR ! A chaque chapitre, suivez les aventures d’André Williams, simple comptable qui se retrouve plongé au cœur d’une machination politico-industrio-écologique à l’échelle planétaire. Cette semaine, épisode 10 !
10.
André arriva au cabinet et se dirigea machinalement vers son bureau. Il sembla que personne n’ait remarqué sa présence. On le salua à peine dans le couloir. Comme si son bref congé avait notifié un départ définitif. Après plus de dix ans entre ces murs, il avait un peu l’impression de faire parti des meubles. En ouvrant la porte, il regarda sa table de travail et s’étonna de la pile de dossiers qui s’était accumulé pendant cette petite semaine d’absence. Bizarrement, elle ne lui semblait pas si conséquente. Son collègue Jean-Pierre n’était pas à son poste. Il profita du calme ambiant relatif pour consulter ses mails. André avait oublié ce que quelques jours d’absence pouvait avoir comme impact sur son travail : pas loin de 500 mails non lus. Il réalisa surtout la quantité de travail qu’il abattait d’habitude chaque jour et se félicita intérieurement de tant d’efficacité. Dans la mare de petits drapeaux rouges indiquant les messages les plus importants, un mail dont l’adresse d’expédition ne lui était pas familière interpella son attention. Il y regarda à deux fois. Mais oui, c’était bien le patron. Le directeur général, en personne, qui le convoquait pour un rendez-vous, aujourd’hui même à onze heures !
On voyait rarement Gildas Kuroki dans les couloirs du cabinet. André lui-même ne le croisait qu’exceptionnellement en dehors du sempiternel repas de noël de la société. André s’était d’ailleurs souvent interrogé sur son rôle dans la société tant l’homme paraissait mystérieux. C’était très certainement grâce à lui que la société n’avait cessé de se développer à une cadence infernale depuis si longtemps. André sentit un mélange d’excitation et d’inquiétude, lui procurant une sensation étrange. Que pouvait bien lui vouloir le patron ?
Il regarda sa montre lui indiquant qu’il lui restait une demi-heure avant le fameux rendez-vous. Jean-Pierre érupta dans le bureau content de voir son collègue de retour. Pourtant après avoir lâché le rituel « ça va ? », il n’en demanda pas beaucoup plus à André. C’est aussi pour ça qu’André appréciait son collègue. Il n’était pas trop invasif et restait assez généraliste dans ses discussions. Il se contentait de faire son boulot dans la bonne humeur et ça convenait très bien à André.
André s’affaira à écumer encore quelques mails avant de se diriger tranquillement vers le bureau du directeur, au cinquième étage du bâtiment haussmannien. « Le haut de la pyramide » se dit André avec un petite rire nerveux dans l’ascenseur. En sortant, il sentit tout de suite qu’il était à un autre niveau : un parquet point de Hongrie au sol aux motifs géométriques originaux et fins, des boiseries travaillées et des tapisseries contemporaines aux motifs abstraits ornais les murs. Tout sentait le luxe et la cire d’abeille. Même l’épais tapis qui délimitait le carré ou trônait le canapé pour faire patienter les invités tranchait avec la moquette industrielle grise des étages inférieurs.
« Monsieur Williams ! Installez-vous ici. Monsieur Kuroki va vous recevoir dans un instant. » lui annonça Evelyne, la secrétaire, sur un ton plutôt stricte. André se demanda de nouveau pourquoi on l’avait convoqué et, un peu inquiet, tenta de se remémorer d’une quelconque bourde qu’il aurait fait récemment. Mais il ne voyait rien. Il fallait se rendre à l’évidence, André était l’employé modèle. Un bruit de buzzer et une lumière rouge au dessus de la porte du bureau du directeur vinrent briser le silence. André, réalisa alors que c’était la première fois depuis qu’il était rentré au cabinet qu’il allait pénétrer dans le bureau du directeur. En général, quand il avait eu des documents de haute importance à lui remettre, ça se passait ici dans « l’antichambre », le bureau d’Evelyne.Tout ce mystère vint renforcer plus encore l’excitation et la nervosité d’André. « C’est à vous de rentrer en scène Monsieur Williams ! » lui lança Evelyne avec un sourire pincé en lui ouvrant la porte du bureau.
« André ! Comment allez-vous mon cher ? Asseyez-vous » entama le directeur. Le ton était solennel et bourgeois. Le signe que Monsieur Kuroki descendait d’une riche famille d’énarque où les bonnes manières faisaient loi.
« Dites-moi André, comment vos vacances se sont-elle passées ? »
« Je n’étais pas en vacances Monsieur. J’avais simplement pris quelques jours pour me reposer un peu. »
« Ah… rien de grave j’espère ? »
« Oh non, Monsieur. Pas d’inquiétude. Tout va beaucoup mieux désormais » rétorqua André pas tout à fait convaincu et quelque peu distrait. Regardant tout autour de lui l’incroyable bureau du directeur, il se sentait comme dans un véritable musée. Tout le mobilier et la décoration sortait tout droit du château de Versailles. Rien que l’imposant bureau laqué noir orné de dorures et d’inserts en ivoire ne ressemblait à rien qu’André ait jamais vu. Mais le directeur le rappela rapidement à la réalité.
« André ! Rentrons dans le vif du sujet. Je vous ai convoqué aujourd’hui pour vous faire une proposition qui ne devrait pas vous laisser de marbre. Vous savez que nous sommes en ce moment en train de développer nos activités à l’étranger dans le secteur de la finance, notamment au Luxembourg et en Belgique. Or, vous faîtes partie de nos meilleurs éléments. Nos opportunités là-bas sont énormes et un rapprochement récent avec la commission européenne nous laisse présager un avenir des plus radieux. Nous avons besoin de gens comme vous, qui connaissez la société et qui la représentez à son plus haut niveau pour nous assurer de franchir ce cap décisif dans les meilleures conditions. Vous savez, vous ferez la même chose qu’ici mais là-bas avec en plus un assistant pour vous épauler et assumer la surcharge de travail qu’une telle mise en place pourrait exiger. Vous êtes de la partie, André ? » conclu Gildas sur un ton malicieux qui semblait un peu décalé dans ce contexte.
André était coi. Il tenta bien de répondre mais aucun son ne sorti de sa bouche. Il prit une longue respiration et parvint enfin à bégayer : « Tout… tout… tout cela semble très intéressant Monsieur le Directeur. Je suis vraiment honoré que vous ayez pensé à moi. ». Le cerveau d’André se mit à tourner plus vite que jamais rattrapé par son manque de sommeil de la semaine passée. Comment allait-il faire ? Pouvait-il réellement tout quitter pour aller travailler à l’étranger ? Et puis, après tout, pourquoi pas ? Il n’y avait pas grand-chose qui le retenait ici mis à part sa mère et quelques amis qu’il avait perdu de vue depuis un certain temps, de toute façon. Il lui fallait quand même du temps pour prendre en considération toutes les conséquences et prendre sa décision.
« Je vois que cela ne vous laisse pas insensible André ! Bon je vous laisse quelques jours pour y réfléchir mais sachez que j’ai confiance en vous. Tenez moi rapidement au courant. Nous souhaitons inaugurer les nouveaux bureaux de Bruxelles dans tout juste un mois. Je ne vous retiens pas plus longtemps. Vous devez avoir un sacré travail à rattraper après cette semaine de repos. Allez André, je compte sur vous » conclut le directeur en appuyant sur un bouton qui fit retentir le buzzer à l’extérieur du bureau.
Evelyne arriva prestement pour évacuer André en douceur tandis que celui-ci lâcha mollement : « merci et bonne journée, Monsieur le Directeur ».
Il était sur un nuage. Jamais il n’aurait pensé avoir une telle promotion. Il savait qu’il avait clairement besoin de se changer les idées et cela sonnait comme l’opportunité rêvée, malgré les responsabilités supplémentaires qu’une telle position supposait certainement, même si le directeur prétendait autrement. Il avait toujours cru au karma et à la destinée. Malgré tout, sa foi restait dans l’attente de leur manifestation dans sa vie. « Ça y est ! » s’était-il écrié intérieurement. André ne réalisait pas toute l’ampleur qu’un tel changement pouvait engendrer et décida de remettre à plus tard sa réflexion sur ce projet. De retour dans son bureau, il plongea corps et âmes dans ses dossiers, zélé comme au premier jour au cabinet… si bien qu’il ne vit pas l’heure passer et releva la tête à 18 h quand Jean-Pierre, éteignant son ordinateur, lui adressa enfin la parole, sur un ton enjoué : « dis-donc, tu as une pêche toi aujourd’hui ! Tu n’as pas arrêté de la journée. Je n’ai pas osé te déranger… Bonne soirée. A demain ! ».
André se dit qu’il en avait fait assez pour aujourd’hui. Il avait été tellement assidu, qu’il avait réussi à passer en revue quasiment la moitié des dossiers accumulés pendant son absence. Il se mit à repenser à son entretien du matin avec le directeur et l’image de Brianna lui vint à l’esprit. Certes, ses anciens amis n’allaient pas spécialement lui manquer mais elle, par contre, avait prit une réelle place non seulement dans sa vie mais aussi, il fallait se l’avouer, dans son cœur. Même si ça en était resté au stade de flirt pour le moment, il se voyait mal la quitter maintenant. Il s’était réellement attaché à elle et il lui semblait que c’était réciproque. Puis, il se remémora cette semaine passée chez lui, à se demander comment il pouvait agir pour changer le cours des choses de façon plus impactante. « Mais c’est bien sûr » s’écria-t-il ! « En me rapprochant de la commission européenne, je pourrais peut être rencontrer des gens qui comprennent mes préoccupations et qui sont engagés pour faire bouger les choses. En me rapprochant du pouvoir, peut être que je pourrais plus facilement apporter ma pierre à l’édifice ! ». Mais André se ravisa rapidement, fronçant les sourcils : « Mon pauvre André… Tu n’es pas un politicien, tu n’es qu’un simple comptable… ». Néanmoins il sentait qu’il tenait là une opportunité.
Il ne savait pas comment tout cela allait se réaliser mais il sentait qu’une porte s’était ouverte, comme celle dans son cerveau que tant de découvertes sur le monde qui l’entoure avait fait exploser ces dernières semaines. Sa vie était en train de changer profondément. A l’extérieur mais aussi à l’intérieur. L’image de Takashi Uno en train de mourir surgit dans son esprit. André était encore profondément meurtri par cet incident et surtout par tout le mystère qui entourait le personnage et ses paroles à André avant qu’il ne s’éteigne. Il décida d’appeler Bri, histoire de se changer les idées et pour tout simplement donner des nouvelles. Il ne l’avait pas revu depuis le procès de l’agriculteur et elle lui manquait.
« Allo ? Bri ? C’est André ! Ça va ? Oui, moi ça va mieux. J’étais un peu malade ces temps-ci. J’avais pris quelques jours de repos. Tu n’imagineras jamais ce que le patron du cabinet vient de me proposer. Une opportunité incroyable pour aller bosser à Bruxelles avec la commission européenne ! Et toi, ça va ? ».
Pendant qu’André écoutait Bri lui raconter ses dernières anecdotes de cours de Yoga, il saisit machinalement un journal sur le bureau de Jean-Pierre. En première page, le gros titre attira son attention « LuxGate : comment le président de la commission européenne s’est retrouvé mêlé à un scandale financier révélant le contenu de centaines d’accords fiscaux très avantageux conclus avec le fisc luxembourgeois par les cabinets d’audit pour le compte de nombreux clients internationaux, dont les plus grandes sociétés multinationales de l’aggro-alimentaire, de l’électronique et de la finance. ».
André fut sorti de son songe par Bri qui s’exclama enthousiaste :
« Mais tu sais quoi André ! C’est fou ton histoire ! Une de mes meilleures amies qui habite à Bruxelles m’a contacté il y a deux jours car elle ouvre une salle de Yoga là-bas et elle cherche des profs qu’elle est prête à former ! Comme ça, ça ne me disait trop rien mais si tu me dis que tu es prêt à partir, ça me donne une raison valable d’y aller ! Allons-y tous les deux ! ».
André n’en crut pas ses oreilles. Il n’y avait désormais plus de doutes. Sa destinée était en train de s’écrire sous ses yeux et il ne se voyait pas rater le train de sa vie plus longtemps.
Excité comme jamais, il convint d’un dîner dès le lendemain avec Bri pour parler de tout cela de vive voix et, trop impatient d’attendre le lendemain, envoya un mail au directeur avec comme seul message dans le corps du mail : « OUI ! ». Consciencieux et fidèle à lui-même, il referma ses dossiers, éteignit son ordinateur et sa lampe de bureau, saisit le journal qu’il avait commencé à lire et entonna, sans même y réfléchir, une chanson de Johnny Hallyday : « pour moi la vie va commencer… ».
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